La justice est l’alpha et l’oméga de la sécurité et la paix
Nous étions quelques uns à avoir cru – fraternité
Et encore quelque uns à croire
Harold, Léa, Jacques, Eva, Rona, Ilan, Ethel
Nous avions la foi des justes de l’espoir
Contre cette apocalypse universelle
Pro-messe inique dans les grimoires
Des faucons d’Israël.
Extrait conférence A. Lemsine - « Haus der Kulturen der Welt » (Berlin, 1998).
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Fragment du chapitre « Palestine » de mon livre « Ordalie des Voix ».
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« - Et maintenant, comment dire la Palestine ? Je marche sans répit. Cette quête par les chemin d’Arabie m’a menée vers ce pays comme un cri… dans ce livre ouvert tel un procès à huis clos de barbelés.
هاجر – Hajar ! Hajar ! Derviche tourneur dans le désert aride de l’iniquité du monde… Hajar vers quelle voie ? Vers l’apocalyse mondiale qui naîtra un jour,
de l’injustice faite autour de ta terre. Et dont la cause sera la folie de tes arrogants tourmenteurs…
Comment faire parler la Palestine ? Me voici aussi démunie, hésitante et perdue comme lors du début de ce voyage, quand je craignais mes découvertes. La page blanche ! Et pourtant j’ai vu, écouté et recueilli des centaines de témoignages. J’ai cherché les Palestiniens, dans chaque pays arabe où j’arrivai. Dans tous les camps où ils vivaient sous le sceau terrible de « réfugiés ». La page blanche ! J’ai marché partout et me voici nulle part.
Soudain, les pages des douze pays, entassées devant moi, se mettent à voler partout. Toute la pièce semble être un aimant buvant mes pages écrites. La course recommence dans une gesticulation désespérée. Les pages s’éloignent d’un seul mouvement imperceptible. Un nuage de cendres tombe en flocons gris dans la chambre qui se fond dans un espace infini. Chaque volute chutant du ciel devient une tente sur la terre. Les tentes se multiplient. Elles sont serrées les unes contre les autres, faisant une surface ondulée, géante, roulante à perte de vue…
La terre n’est plus visible sous les millions de ces linceuls à pans rigides. La mer n’est qu’un immense trou vide, si profond dans son insondable vide. Les douze pays ne sont plus qu’un désert d’intensité aride. Tout est silence, immortalité souveraine ……………………………………………………………………………
Subitement une ombre avance et hèle ma peur.
- Juliette Naef Zaka! Raja Abou Hassan Amacha! Chadia Abou Ghazala! Amal Badawi! Ihssen Abou Abbas! Maysoun Nooman ! Ihssen Khallil ! Heloua Zidan! Hayet Belbessi ! Mountaha el Hauran !
Lina Naboulsi ! Dallal Moghrabi ! Taghrid el Batma ! Amal ! Hana !Mariam ! … Moi !... Et Moi !
Ces noms claquent dans l’immobilité du temps. Tous martyrs aux corps éventrés à la source de leurs vingt ans.
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Témoignez ! Témoignez ! Crie une voix plus forte. Les mots de HELOUA ZIDAN, parviennent à mon attente tremblante :
- Deir Yassin… N’oublie pas. Begin y inaugura le massacre – par ce petit village paisible afin que la Palestine soit vidée de ses habitants. Des familles vivaient là, sur mille dounoums. Elles étaient sept cents personnes nourries de leurs produits agricoles et laitiers. Non loin de notre village, une carrière produisait les pierres les plus belles du pays, connues sous le nom « pierre Yassin »…
Ce soir-là, il y avait un mariage chez nous. Une grande joie emplissait tous les logis. Les femmes se paraient de leurs plus belles toilettes pour aller à la fête. ».
HAYET EL BELBESSI intervient :
- J’avais vingt ans. Je venais de réussir à mon examen final de l’Ecole Normale. Nommée institutrice à Deir Yassin, je quittai ma ville natale de Jérusalem pour rejoindre mon nouveau poste. Je vins habiter chez Set’Heloua Zidan.
Ici, quelques familles juives formaient un voisinage apparemment pacifique. Quand les troubles commencèrent dans le pays, les uns et les autres s’étaient promis de demeurer unis et de se protéger mutuellement en cas de danger, afin de ne pas laisser les étrangers introduire la haine chez eux. Mais hélas ! Derrière leurs sourires, ces familles avaient déjà reçu pour mission d’endormir la méfiance de leurs voisins arabes, tout en s’apprêtant à les tuer par traîtrise.
-Ce soir-là, nous avions veillé tard à cause de la fête. A vingt deux heures nous étions tous couchés et les femmes trop fatiguées, s’étaient endormies encore parées de leurs plus beaux bijoux …
Quand soudain l’horreur s’abattit durant notre sommeil. Je me réveillai sous le vacarme d’un mitraillage crépitant, infernal. J’accourus à la terrasse, je vis Set’Heloua en train de tirer avec un vieux pistolet tout rouillé. Son mari et ses fils, gisaient sans vie à ses pieds. La pauvre femme avait pris leur place pour tenter de défendre le reste de la famille. Les hurlements stridents des enfants terrorisés ponctuaient cet enfer, et dans les ruelles du village, le sang rougissait l’herbe tendre du sol. Set’Heloua me cria de fuir. Mais je mis un foulard blanc sur mon bras en y dessinant une croix et me précipitai dehors où les gens tombaient durant leur fuite désespérée… Les femmes aux ventres déchirés à l’arme blanche, tels des pétales écarlates jonchaient les trottoirs sur les seuils de leur maison. Une de mes petites élèves s’accrocha à ma jupe pour m’entraîner vers son père qu’un soldat venait de jeter vivant du haut de son balcon. Je ne pouvais rien pour lui, il était déjà mort. Je m’affairais à réunir les enfants dans l’école, pensant qu’ils y seraient en sécurité. Mais les Juifs semblaient être possédés de folie sanguinaire, bourreaux exaltés par le regard d’épouvante de leurs victimes. La meute n’épargna pas même l’école dans laquelle toute ouverture fut bouchée par les flammes de l’incendie allumée par la horde des tueurs.
Les enfants asphyxiés moururent brûlés dans un hymne funèbre de hurlements. Pendant que je courais de tous côtés, j’aperçus la vieille hadja OUM MAHMOUD. Je l'avais reconnue à son éternelle robe verte brodée ; elle était étendue tel un étendard froissé. Une femme en uniforme était penchée sur elle, en train de voler ses bracelets et colliers.
Soudain deux soldats me firent face. Je n’eus pas le temps de faire demi-tour que déjà le feu me brûlait le dos. En tournoyant sur moi-même avant de tomber, je remarquai qu’ils devaient avoir mon âge.
MOUHTAH EL HOURANI, quinze ans.
-Je suis de Jenine près de Naplouse. En 1975, durant une manifestation, les soldats sionistes nous menacèrent de marcher sur nous avec leurs chars si nous ne nous dispersions pas. Je n’ai pas bougé du milieu de la rue. De toute manière, je ne pouvais pas faire un mouvement tant le sol semblait être soudé à mes pieds. La terre elle-même retenait ma fuite. Ils avancèrent lentement, froidement sur mon corps et leurs roues firent craquer mes os en malaxant mes chairs avec la racine profonde de la Palestine.
C’est pourquoi, j’ai des mains partout aujourd’hui et demain.
LINA EL NABOULSI, dix-sept ans.
- Durant une manifestation en 1976, je fuyais les soldats qui nous couraient après… L’un d’eux me rejoignit dans une maison où je voulais me cacher et tira à bout portant sur ma poitrine. Mon amie BENT EL KHAYAT derrière moi était tombée évanouie. Elle fut transportée à l’hôpital où on l’acheva.
DALLAL EL MOGHRABI, dix-huit ans.
-Moi, j’ai été la première jeune fille palestinienne à avoir mené une opération militaire baptisée « Martyr Kamel el Adwan / Groupe de Deir Yassin ». J’ai pris en otage un autobus à Tel-Aviv en 1978… et ai exhibé sous le nez des passagers le drapeau Palestinien. Les sionistes réussirent à me blesser. Encore vivante, je fus lynchée, et démembrée sous leurs bottes. Mais vois-tu, je suis une victime inachevée, de lumière et de pierre dans les mains des petits enfants quand ils sont face aux soldats d’occupation. Nous sommes partout en Palestine, je couche dans les chemins creux, dans la bouche, dans les voix de ma patrie et jusque dans la menotte des enfants Palestiniens quand ils brandissent des pierres vers les nouveaux nazis de mon peuple. Nos traces soulèveront d’autres pas, jusqu’à la libération de la Palestine.
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Une voix rauque, solitaire, s’élève dans un débit haché, saccadé et entrecoupé de gémissement. Elle apostrophe ma détresse.
-Je suis SAÏD MANSOUR, j’ai vingt-cinq ans. De Naplouse du village de Kafr’Qalil. A la fin de mes études d’ingénieur au Caire, j’ai obtenu une proposition de travail au Koweit. Mais avant de rejoindre mon poste, je désirais voir ma famille en Palestine. C’était en avril 1982 … Après quelques jours de bonheur auprès des miens, je me préparais à repartir, pour cela, il me fallait retirer mon autorisation de sortie, du siège du gouvernement militaire. Là-bas, après l’interrogatoire, les militaires me présentèrent un document à signer. Selon celui-ci, je devais désavouer toutes les organisations « terroristes Palestiniennes » et déclarer que je sympathisais avec les occupants sionistes. Mes papiers attestaient que j’avais été étudiant et qu’un travail m’attendait en bonne et due forme au Koweït, mais eux tenaient à ce que je leur atteste mon allégeance. Je refusai. Les coups commencèrent à pleuvoir. Après de longues heures de passage à tabac, tourmenté par la soif, je réclamai à boire. L’un d’eux urina dans un bol qu’il jeta sur mon visage… Ensuite ils m’attachèrent aux barreaux d’une fenêtre avec des ressorts d’acier. Je restai ainsi suspendu durant toute une journée, pendant que le fouet claquait sur mon corps nu. Je m’évanouis plusieurs fois. Mais quand l’électricité se relaya à mon enfer, mes forces m’abandonnèrent pour m’emmener dans un départ définitif de ce lieu maudit inventé par les Jufs sionistes.
Mon père me cherchait partout. Finalement les militaires lui dirent que j’étais à l’hôpital. Là, il fut conduit à la morgue, où on lui proposa de « choisir » parmi les morceaux épars dans les tiroirs. Entre les troncs, visages et membres en bouillie, mon pauvre père reconnut mes pieds, à une déformation particulière de mes orteils… Le reste ma famille te l’expliquera… Tous mes organes avaient disparus… Ma tombe ne contient que mes pieds…
Mais, tu vois, je suis entier devant toi, va, écris. Témoigne ! N’oublie pas !
Le ciel s’étrangle dans un bleu cyanosé. Il n’était plus qu’une chape de plomb suspendue sur la terre. Une rumeur s’approche, s’amplifie comme celle de plusieurs adolescents en promenade.
- Mars 1982. Nous sommes quatre jeunes gens du village de Saint Gil entre Ramallah et Naplouse. Nous avons choisi ce coin de la clairière non loin de chez nous, pour nos révisions, car le baccalauréat est pour cette année. Soudain un groupe d’hommes surgis d’on ne sait où ! … Ce sont des « colons sauvages ».
Ils se mettent à nous insulter. Un des assaillants tire sur nous. Le plus jeune de nos camarades tombe, ils le croient mort, aussi, ne s’occupent-ils plus que de nous trois. Ils nous encerclent. Battus jusqu’à l’évanouissement, ils nous trainent par les pieds, en fuyant les parages. Notre camarade, blessé légèrement a fait le mort, ainsi a t-il pu se sauver et donner l’alerte. Depuis nos familles n’ont plus jamais retrouvé nos corps… Mais nous continuons d’exister dans des jours aussi grands que notre innocence et de l’existence éternelle de la Palestine. Ils ont le présent, nous avons l’avenir…
Sans transition, un violent coup de tonnerre renverse l’ordre présent. Des gens surgissent. Leurs visages sont visibles, alors qu’il fait sombre partout. Ils parlent tous dans un même souffle de fureur :
-Pas seulement Deir Yassin ! Mais aussi les massacres des villages de :
Tele’t el Mountar ! Kafr’ Kassem ! Qibia! Nahalin! Samou’ ! Qalqilia!
Khan Younès! El-Lajoun! Tantoura ! Tabaria! …
Des milliers de civils, massacrés durant leur sommeil, avec la même cruauté et traîtrise que Sabra et Chatila au Liban ! Nos villes et villages rasés, les cimetières profanés, creusés aux bulldozers et transformés en Kibboutz ! Leurs villes sont construites sur nos morts. Leurs maisons suintent de notre sang, Leur esprit est habité par nos fantômes. Nous occupons leur conscience avec nos cris. Morts-vivants, ils sentent nos cadavres. Ils ne connaitront jamais de paix.
Mais la vie est en face de moi. Tu vois comme je vois avancer cette petite fille fragile mais décidée à vivre. Ecoute encore une fois :
- Je suis la fille de NAJIB EL HALABY et de FATIMA. Je suis née à Fakhani quartier de Beyrouth le 17 juillet 1981 à onze heures. Ma nationalité ? Palestino-libanaise. Mon lieu de résidence : le Croissant Rouge. Je voudrais saluer tous mes enfants du monde afin qu’aucun d’entre eux ne fasse jamais partie de cette minorité qui tue…
J’étais dans le ventre de ma mère quand est arrivé le premier avion sioniste de fabrication américaine qui transportait la mort et la destruction. Ma mère est morte sur le coup par les éclats de la bombe tombée sur notre maison. Morte sur le coup en me donnant la vie. Ainsi mon certificat de naissance a-t-il été signé par le pilote Juif sioniste qui a accompli sa mission. Je suis née entre deux raids. Ma mère est morte durant le premier et j’ai vu le jour durant le second. Alors on m’a nommée : Palestine. »
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Cet extrait ne représente qu’une partie du chapitre concernant l’enquête précise basée sur des documents et des témoignages d’anciens prisonniers, de réfugiés dans les camps de Beyrouth, Syrie et Jordanie, ainsi que des personnalités politiques et intellectuelles connues durant cette époque de l’avant et après l’invasion du Liban par Israël. Ayant été, une des rares, sinon la seule à rapporter dans les détails, les tortures pratiquées par Israël à l’encontre des palestiniens, ainsi que mes rencontres avec des chefs religieux islamiques, parmi les plus « problématiques », on comprendra combien Ordalie des Voix » encore d’une actualité brûlante.
Car les blessures de la Palestine, élargies à plusieurs pays du monde arabe, étaient déjà annoncées dans mon livre.