samedi, février 14, 2015

Assia Djebar au delà des controverses algériennes...



"La vérité ne se dégage pas de la polémique, mais des oeuvres qu'on a faites" ( Paul Gauguin). 

À contre-courant des polémiques et des "fitna" intellectuelles et ou politiques, j'atteste  que Assia Djebar eut droit à des obsèques officielles, organisées sur ordre du Gouvernement. Cercueil recouvert du drapeau algérien, transporté par des éléments de la Protection civile, et une dernière haie d' honneur.

La romancière et membre de l' Académie Française,  de son vrai nom Fatma-Zohra Imalayène, née le 30 juin 1936 à Aïn Bessam ( Bouira, en Algérie)  décédée, après une longue maladie,  le 6 février 2015 à Paris, a été inhumée, hier matin, au cimetière de Cherchell. Cette commune de Tipaza, n'est certes pas, sa ville natale, mais néanmoins, une des sources de son inspiration littéraire, notamment son premier film de fiction en 1978 - "La nouba des femmes du Mont Chenoua", produit par la télévision algérienne. Coïncidence ou pas, elle reposera désormais,  plus ou moins loin,  de la stèle érigée en hommage à l'endroit ou Albert Camus aimait à se tenir...

 Pour ma part, je n'ai pu me rendre à Cherchell, pour ses obsèques, mais j'étais présente à l' hommage qui lui fut rendu au Palais de la Culture, jeudi dernier. Nous étions près d' une centaine de personnes, du monde des arts et des lettres ainsi que de la politique et des Associations pour les droits des femmes, à nous recueillir devant la dépouille de la défunte. Parmi ces personnalités, je cite celles que je connais, telle la ministre de la Culture Nadia Labidi, l'Ambassadeur de France, l'Ambassadrice du Chili,  l'ex-ministre et écrivaine Zhor Ounissi, Amina Dabache directrice du quotidien arabophone "El Chaab", la leader du PT, Louisa Hanoune, etc.

Cependant, que la plus intense émotion qui me fit venir les larmes aux yeux , fut au moment où je présentai mes condoléances à la famille, dont sa mère Baya, une extraordinaire dame presque centenaire, à l'esprit vif, qui me fixa d'un regard étincelant d' intelligence, en me disant: " Merci... Aïcha Lemsine, oui, je vous connais.. Assia m'avait parlée de vous." 
  
Soudain des souvenirs refluèrent en force... Cet article du journal  "le Monde" en 1976, de Françoise Wagener, au sujet de mon premier roman -  avec cette phrase: " La Chrysalide", que son aînée, Assia Djebar, a aimé...". Elle avait donc été ma "première" lectrice!!!

Par la suite, je l'avais rencontrée , au cocktail de promotion de mon livre, organisé par mes éditrices à Paris. Elle était là, belle, sympathique et chaleureuse,  découvrant avec enthousiasme, cette toute nouvelle "Edition des Femmes" qui faisait  alors, beaucoup parler d' elles, et chez qui, elle publiera quatre années plus tard, "Femmes d'Alger dans leur appartement" - nouvelles  (1980)

 Puis,  durant les années 90, aux Etats-Unis, où j'étais correspondante "diplomatique", pour "The Washington Report on Middle East Affairs " en même temps, que vice- présidente du "Women'World Writers" ( organisation mondiale des femmes écrivains) basée à New-York, je la croiserai une deuxième fois... Peu après,  j'avais quitté les States, et ce fut à son tour d'y vivre... 

C'est ainsi que nous nous étions perdues de vue, jusqu'à ce triste jour de son décès. C'était une voix qui était aussi, mienne, dans le sens, où Assia Djebar avait  étrangement, continué et développé les thèmes de mes livres ( la Chrysalide: 1976) et mon essai sur le monde Arabe et l' Islam :  "Ordalie des Voix" - Les femmes Arabes parlent " - ( Paris- 1982).

Et voilà qu'après tant d'années, elle est là, sans vie , mais "immortelle", beaucoup plus sûrement à travers sa formidable oeuvre littéraire, que par la grâce l'Académie française- qui comme chacun sait, obéit surtout au "politiquement correct", sinon à des intérêts politiques conjoncturels... D'autant plus que contrairement au Prix Nobel, cette "distinction" française  coûte trop chère. Car il faut savoir que la confection de l’habit d'apparat à 35 000 euros, et l'épée  jusqu'à 100 000 des  membres de cette illustre aéropage est à la charge du nouvel entrant... 

Ceci pour rappeler, que rien ne dure, pas même le bruit de la renommée, sauf la voix de la conscience qui demeure empreinte dans les écrits de l'écrivain, du poète, et dans la mémoire de ceux de qui, on a réussit à se faire aimer. 

À l'image de ces femmes, largement majoritaires dans la salle, qui ont accueilli tes restes mortels,  en scandant des "youyous"... avec  ce moment bouleversant,  quand la lourdeur de la peine, qui pesait dans l'air, fut déchirée par la voix pure de Djoher Amhis, entonnant les merveilleux chants religieux berbères de Taos Amrouche. 

En vérité, quoi qu'en disent les sempiternels faiseurs de polémique, l'Algérie t'a rendu les honneurs qui te revenaient de droit. Et cela, non, pour l'octroi prodigieux de tes prix et médailles étrangères, mais pour avoir  été, une écrivaine qui aura glorifié la grandeur et aussi la misère de notre pays; écrit  la parole forte et résistante des femmes algériennes contre les lois injustes d' un patriarcat toujours aux aguets,  en les faisant connaître par delà nos frontières.  Tout cela, dans une pensée plurielle de toutes les écrivaines algériennes, comme tu le reconnaissais toi-même dans ces mots: 
" J’écris, comme tant d’autres femmes écrivains algériennes avec un sentiment d’urgence, contre la régression et la misogynie".
 Que Dieu ait ton Âme, Assia - Fatma-Zohra, et que la terre te soit légère.
     نا لله وإنا إليه راجعون

 ولا حول ولا قوة إلا بالله العلي العظيم