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Il nous a quitté... Le grand poète palestinien, a cessé de vivre à 67 ans dans un hôpital de Houston (Texas) à la suite de sa troisième opération à cœur ouvert. Il a rejoint les authentiques immortels des plus belles lettres arabes, et parmi les plus sublimes écrits du monde. Je paraphrase en inversant un de ses poèmes pour dire, il a déposé la vie qu`il portait et donné a sa tombe une chance de restaurer le récit *… de son absence. Celle-ci sera désormais la sève vivante de notre mémoire. Il était non seulement le porte-voix de la cause palestinienne et de sa résistance, mais aussi une des plus vibrantes voix universelles avec sa poésie à contre-nuits, absences, frontières, passeports, exils, murs et morts, dans une présence charnelle palpitante d`amour et paix.
En cet instant, je me souviens particulièrement d`une de nos conversations, un jour chez lui à Paris. Alors qu´il me commentait vivement son refus des Accords d`Oslo qui venaient d`être signés quelques mois auparavant, je lui fis cette réflexion un peu provocatrice: « tu les critiques sans te douter que c´est une chance de pouvoir rentrer enfin en Palestine, revoir ta terre »… Il me fixa en silence puis me répondit lentement :
« ma terre est partout où je vais, libre dans ma parole, éternelle, que je vive ou je meurs..."
Voilà pourquoi, pour moi, Mahmoud n´est pas "mort"... ce soir, mon ami, mon frère, s`est seulement, endormi pour voler là où la lumière est un éternel commencement. Il est parti LE POÈTE, au delà de l`horizon, de toutes les nuits. Plus vivant que jamais, avec sa voix grave des fiers arabes debouts dans leur Histoire, il rythme de tous ses mots vibrant de vie, la longue marche de la Palestine vers la liberté, ainsi que la mémoire de tous les justes dans le monde.
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"*Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes et donne à ta vie une autre chancede restaurer le récit. (”Dépose ici et maintenant” extrait de "Ne t’excuse pas" (Lä ta’tadhir’ammâ fa’alta) recueil de poèmes traduits de l’arabe par Elias Sanbar/ Editions Sinbad/ Actes sud, 2006)" ***
Muhammad par Mahmoud DarwichOiseau terrorisé par l'enfer tombant du ciel,
Muhammad se niche dans l'étreinte de son père :
Protège-moi de l'envol, père,
mon aile est encore Petite pour le vent . . .
et la lumière est noire
Muhammad voudrait rentrer à la maison,
Sans vélo . . . ou chemise neuve.
Il voudrait retrouver le banc de l'école. . .
Le cahier de grammaire et des conjugaisons :
Porte-moi Chez nous,
père, que je fasse mes devoirs
Et accomplisse ma vie, petit à petit. . .
Au bord de la mer, sous les palmiers,
Rien de plus, rien.
Muhammad fait face à une armée, sans pierre ou éclats
Des planètes et il n'a pas remarqué le mur pour y écrire :
« Ma liberté ne mourra pas ».
Il n'a pas encore de liberté
Pour la défendre, pas d'horizon pour la colombe
De Picasso et il n'a pas fini
De naître dans un nom qui lui fait porter la malédiction du nom . . .
Combien encore, naîtra-t-il de lui-même, enfant
Amputé d'un pays... d'un rendez-vous avec l'enfance ?
Où rêvera-t-il, si le rêve le visitait. . .
Et la terre est une plaie . . .
et un temple ?
Muhammad voit venir sa mort, inexorable.
Mais à se souvient soudain
D'une panthère qu'il a vue à la télé,
Une panthère puissante qui tenait un faon à sa merci
Mais qui, une fois près de lui, sentit l'odeur de lait
Et ne le dévora pas.
Comme si le lait apprivoisait les bêtes sauvages.
Moi aussi, j'en réchapperais, se dit l'enfant
Et il pleure : Ma vie, là-bas, est une cachette
Au fond de l'armoire de ma mère.
J'en réchapperai . . .
et je témoignerai.
Muhammad, un ange pauvre, à bout portant
Du fusil de son chasseur de sang-froid.
Une heure déjà
Que la caméra capte chacun des mouvements du garçon
Qui s'assemble dans son ombre.
Son visage, telle l'aube, est net.
Son cœur, telle une pomme, est net.
Ses dix doigts, telles des bougies, sont nets
Et la rosée, sur son pantalon, est nette. . .
Son chasseur aurait pu s'accorder un instant de réflexion, Se dire : je l'épargnerai en attendant qu'il apprenne
A épeler correctement sa Palestine. . .
Je l'épargnerai maintenant, en gage de ma conscience,
Et l'abattrai, plus tard, lorsqu'il se révoltera
Muhammad, Petit Jésus endormi et rêvant à l'intérieur
D'une icône
Faite de cuivre,
D'un rameau de l'olivier
Et de l'âme d'un peuple renaissant
Muhammad,
Sang superflu pour la quête des prophètes,
Monte donc au Jujubier céleste*Ô Muhammad!
*** ET NOUS , NOUS AIMONS LA VIE
Et nous, nous aimons la vie autant que possible
Nous dansons entre deux martyrs.
Entre eux, nous érigeons pour les violettes
un minaret ou des palmiers
Nous aimons la vie autant que possible
Nous volons un fil au ver à soie pour tisser
notre ciel clôturer cet exode
Nous ouvrons la porte du jardin
pour que le jasmin inonde les routes comme une belle journée Nous aimons la vie autant que possible
Là où nous résidons, nous semons
des plantes luxuriantes et nous récoltons des tués
Nous soufflons dans la flûte la couleur du lointain, lointain, et nous dessinons un hennissement sur la poussière du passage
Nous écrivons nos noms pierre par pierre.
Ô éclair, éclaire pour la nuit, éclaire un peu
Nous aimons la vie autant que possible
Mahmud Darwich
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Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps Près des jardins aux ombres brisées, Nous faisons ce que font les prisonniers, Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir.
* * *
Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents Car nous épions l’heure de la victoire : Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage. Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière Dans l’obscurité des caves.
* * *
Ici, nul « moi ». Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.
* * *
Au bord de la mort, il dit : Il ne me reste plus de trace à perdre : Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main. Bientôt je pénètrerai ma vie, Je naîtrai libre, sans parents, Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur...
* * *
Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison, Pas de temps pour le temps. Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu : Nous oublions la douleur.
* * *
Rien ici n’a d’écho homérique. Les mythes frappent à nos portes, au besoin. Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général Fouille à la recherche d’un Etat endormiSous les ruines d’une Troie à venir.
* * *
Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez, Buvez avec nous le café arabe Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons Sortez de nos matins, Nous serons rassurés d’être Des hommes comme vous !
* * *
Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel Etait réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]
* * *
Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer Des soldats pissent - sous la garde d’un char - Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans Une rue vaste telle une église après la messe dominicale...
* * *
[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.
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Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches Epluchées par l’orange et la femme pleine de promesses.
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Le siège est attente Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.
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Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie S’il n’y avait les visites des arcs en ciel.
* * *
Nous avons des frères derrière cette étendue. Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et pleurent. Puis ils se disent en secret : « Ah ! si ce siège était déclaré... » Ils ne terminent pas leur phrase : « Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. »
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Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour. Et dix blessés. Et vingt maisons. Et cinquante oliviers... S’y ajoute la faille structurelle qui Atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.
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Une femme a dit au nuage : comme mon bien-aimé Car mes vêtements sont trempés de son sang.
* * *
Si tu n’es pluie, mon amour Sois arbre Rassasié de fertilité, sois arbre Si tu n’es arbre mon amour Sois pierre Saturée d’humidité, sois pierre Si tu n’es pierre mon amour Sois lune Dans le songe de l’aimée, sois lune [Ainsi parla une femme à son fils lors de son enterrement]
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Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés De guetter la lumière dans notre sel Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ?
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Un peu de cet infini absolu bleu Suffirait A alléger le fardeau de ce temps-ci Et à nettoyer la fange de ce lieu
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A l’âme de descendre de sa monture Et de marcher sur ses pieds de soie A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis De longue date, qui se partagent le pain ancien Et le verre de vin antique Que nous traversions ensemble cette route Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes : Moi, au-delà de la nature, quant à elle, Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.
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Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux Qui meublent leurs nids dans les creux des statues, Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse.
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Sur mes décombres pousse verte l’ombre, Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre Il rêve comme moi, comme l’ange Que la vie est ici... non là-bas.
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Dans l’état de siège, le temps devient espace Pétrifié dans son éternité Dans l’état de siège, l’espace devient temps Qui a manqué son hier et son lendemain.
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Ce martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires Toutes les paroles que tu m’as offertes Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho.
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Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie Sur terre, parmi les pins et les figuiers, Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé Avec l’ultime chose qui m’appartienne : le sang dans le corps de l’azur.
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Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous Crois-moi père quand il observe ma photo en pleurant Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils et m’as-tu précédé. Moi d’abord, moi le premier !
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Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes. J’ai posé une gazelle sur mon lit, Et un croissant lunaire sur mon doigt, Pour apaiser ma peine.
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Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit pas, en toute liberté !!
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Résister signifie : s’assurer de la santé Du coeur et des testicules, et de ton mal tenace : Le mal de l’espoir.
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Et dans ce qui reste de l’aube, je marche vers mon extérieur Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intention.
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Salut à qui partage avec moi l’attention à L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon, dans La noirceur de ce tunnel.
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Salut à qui partage avec moi mon verre Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places : Salut à mon spectre.
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Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre de chênes Une épitaphe en marbre du temps Et toujours je les devance lors des funérailles : Qui est mort...qui ?
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L’écriture, un chiot qui mord le néant L’écriture blesse sans trace de sang.
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Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur A l’autre telle une gazelle L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste
* * *Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus Révèlent que ce matin est puissant splendide, Et que nous sommes les invités de l’éternité... - Rahimu Allah-